-Papa ?

Une petite tête brune passa par la porte.
Dans la chambre, une silhouette bougea dans le lit et Elliot Marsh se releva, s’asseyant sur son lit, regardant à travers ses paupières à moitié encore fermés la personne qui avait osé le déranger.

-Shae … Qu’est-ce que tu fais là ?
-Je … J’ai fait un cauchemar…
-Il est 1h du matin Shae, retourne te coucher.

Puis il se retourna et fixa le mur d’en face, se détournant totalement de sa fille qui referma la porte en essayant de retenir ses larmes. Certes, son père avait beaucoup de mal avec la mort brutale de sa mère mais elle n’avait que huit ans et avait besoin qu’il soit là pour elle, qu’il la rassure, qu’il la tienne contre lui. Mais rien. Il l’ignorait. Comme si le fait même de la regarder lui rappelait sa défunte femme. Shae se réfugia dans sa chambre et se mit à pleurer, ne pouvant retenir ses larmes plus longtemps. Sa mère lui manquait mais, plus encore, son père lui manquait. Et c’était pire encore car ce dernier était toujours présent. Elle s’assit dans son lit, enfoui sa tête dans ses couvertures et essaya de se calmer. Elle fini par s’endormir d’épuisement après avoir longtemps bataillé contre ses propres pensées.

Quelques jours plus tard, la sœur d’Elliot vint leur rendre visite. Quand elle vit l’état dans lequel était la maison ainsi que celui de ses habitants, elle n’en revint pas. Elle ne reconnaissait pas son frère. Il s’était totalement laissé aller.
Après le déjeuner, alors qu’elle et son frère discutaient de la mort de Sarah, Shae rentra dans la cuisine, s’approcha de son père et essaya de lui monter sur les genoux, réclamant silencieusement un câlin. Mais son père, une fois de plus, la repoussa presque avec violence tout en la grondant :

-Shae ! Tu ne vois pas que je discute ? Mais c’est pas croyable ça ! Sors, va jouer ailleurs !

Sa tante, Alicia, fronça les sourcils, cette fois vraiment en colère face à l’attitude de son frère vis-à-vis de sa fille. Elle vit Shae sortir, les larmes aux yeux, complètement abattue et fusilla Elliot du regard avant de lui dire sèchement :

-Tu ne bouges pas d’ici. Je reviens, je vais voir ta fille, ou du moins ce qu’il en reste.

Elliot ne comprit pas et la regarda avec étonnement. Sa sœur ne se fâchait pas facilement et il n’arrivait pas à voir ce qu’il avait fait de mal pour qu’elle lui parle de cette manière.
Alicia rejoignit la jeune fille dans sa chambre et, la voyant en pleurs dans son lit, la prit dans ses bras en lui caressant doucement les cheveux. Elle chantonna un moment, apaisant la petite avant de lui parler d’un ton très doux, très tendre.

-Là ma belle, calme toi. Tout va bien Shae, Papa est dans une mauvaise passe mais ça va passer, il va redevenir comme avant.
-M-mais … Il-il-il …
-Calme.

Shae tenta tant bien que mal de calmer les sanglots qui pointaient dans sa voix avant de reprendre :

-Il ne-ne me voit plus. Il ne s’occupe plus de moi. J’ai … J’ai l’im-impression de ne plus exister pour lui. Il-il ne pense qu’à maman alors qu’elle est même plus là. Moi je suis là mais … il s’en fiche …
-Non Shae, il ne s’en fiche pas. Je t’assure. Il ne se rend pas compte de ce qu’il fait mais je t’assure qu’il t’aime et te perdre serait la pire chose qui pourrait lui arriver. Il a juste besoin que … que quelqu’un lui remette les pendules à l’heure. Ne t’inquiètes pas, je suis là, je vais faire ce qu’il faut.
-… Merci ….
-Mais de rien ma puce, c’est normal. Maintenant je vais aller parler avec ton père. Reste ici, je viendrais te chercher.

Elle lui embrassa le haut de la tête avant de sortir de sa chambre, lui souriant avant de refermer la porte. Une fois celle-ci close, son regard changea du tout au tout, redevenant colérique. Elle marcha d’un pas ferme jusqu’à la cuisine et rentra en trombe , ne perdant pas une minute de plus avant de se mettre à hurler sur son frère.

-Non mais ça va pas ? Je comprend que tu sois dévasté par la mort de ta femme mais là, LA, tu dépasses les bornes ! Est-ce que tu as seulement remarqué dans quel état tu as mis ta fille ?
-Qu’est-ce que tu me chantes ?
-Tu es tellement absorbé par ton malheur que tu en oublies Shae ! Elle a huit ans, elle a besoin d’un père ! Pas d’une loque ! Le moins que tu pourrais faire pour ta défunte femme est bien de t’occuper de son enfant et pas de la rejeter à chaque fois qu’elle demande un peu d’attention ! Depuis combien de temps tu ne l’a pas emmenée jouer avec toi ? Depuis combien de temps tu ne lui as pas fait de câlin même ?

Elliot avait baissé la tête et fixait le sol sans rien dire. Il avait pensé répliquer au début mais plus Alicia parlait, plus il comprenait à quel point elle disait vrai. Il n’arrivait pas à comprendre comment il avait pu en arriver à être un si mauvais père. Il avait été un tel égoïste, ne pensant qu’à son propre nombril et rien d’autre … Oui, il en était arrivé à devenir exactement le genre d’homme qu’il détestait. Il avait délaissé sa princesse, sa raison de vivre au profit d’un chagrin qu’il aurait dû dépasser pour Shae depuis longtemps. Il n’avait pas su être fort, être présent au moment où elle en avait le plus besoin. Toutes ces pensées lui tombaient dessus d’un seul coup, comme si elles avaient été emprisonnées quelques part pour ne pas qu’il puisse y avoir accès.  
Mais comment, comment revenir maintenant ? Pouvait-il vraiment tout effacer ? Sa fille ne lui en voudrait pas pour toujours ?
Quand il entendit sa sœur lui répondre « Heureusement pour toi, elle a huit ans et t’aime de tout son cœur. Bien sur que oui, elle te pardonnera. », il comprit qu’il s’était posé ces questions à voix haute.

-Je suis contente que tu t’en rendes compte, reprit Alicia. Maintenant va la voir. Allez !

Elliot se leva alors et se rendit devant la chambre de sa fille. Il toqua à la porte et sursauta quand il entendit :

-Entre Alicia.

Sa fille pensait que c’était sa sœur. En même temps, depuis quand Elliot n’était plus rentré dans cette chambre ?
Il ouvrit la porte et passa sa tête dans l’embrasure  avant de dire d’une voix un peu gênée :

-C’est moi Shae. Je peux rentrer ?

La petite fille resta quelques instants silencieuse, se demandant ce que lui voulait son père, si il venait pour la gronder pour une énième bêtise ou non puis hocha la tête, incertaine.

Il rentra donc et referma la porte derrière lui puis alla s’asseoir sur le bord du lit, regardant sa fille qui le dévisageait avec de grands yeux tristes. Il sentit son cœur se serrer. Il lui avait fait mal, terriblement mal. Que lui dire maintenant pour s’excuser ? Il cherchait quoi dire mais chaque mot lui semblait futile, chaque phrase inutile. Comme le silence commençait à peser, il se lança.

-Shae je …

Un nœud se forma dans sa gorge et plus un mot ne sortit. Alors, il prit la petite fille et la serra fort contre son cœur, laissant les larmes couler sur ses joues sans les retenir. Shae n’essaya pas de se débattre, pas rancunière pour un sou, et éclata en lourds sanglots tout en serrant son père, n’osant pas desserrer l’étreinte de peur qu’il ne s’en aille une nouvelle fois.

-Je suis désolé. Je … j’étais triste à cause de la mort de ta mère … Je sais que ce n’est pas une excuse mais … J’espère que tu ne m’en veux pas trop … Je sais que j’ai été un mauvais père. Mais je vais me rattraper … Promis. Tu veux bien me laisser une chance ?

Shae, la tête toujours enfoui dans le cou de son père, hocha une nouvelle fois la tête tandis qu’un grand sourire illuminait ses traits toujours pleins de larmes. Elliot berça doucement sa fille et l’embrassa tendrement, respirant sa douce odeur , si semblable à celle de sa mère. Mais cette fois, la tristesse n’envahit pas son cœur, juste un vague regret. Alors il se mit  à chantonner une chanson, une berceuse que Sarah avait inventé pour endormir sa fille quand elle n’était qu’un bébé. Shae, reconnaissant l’air qu’elle n’avait plus entendu depuis la mort de sa mère, s’apaisa et la tension en elle s’évacua lentement. Elle écouta la voix grave de son père s’élever, se laissant doucement bercer par ses bras et ferma les yeux pour mieux en profiter.

Alicia referma la porte de la chambre qu’elle avait sans bruit entrebâillée. La vue de ce portrait touchant lui avait redonné le sourire. Ce que son frère pouvait être idiot parfois … Heureuse d’avoir fait sa bonne action de la journée, elle quitta la maison en laissant un mot pour son frère, se disant que le père et la fille avait grandement besoin d’être juste tous les deux à ce moment précis.