C’était le jour j, Eileen le savait. Elle avait pris sa potion ce matin et avait manqué de rendre son petit déjeuner sous le coup. Il était bientôt sept heures et elle devait se rendre dans une salle préparée par plusieurs professeurs sous l’ordre du directeur pour vivre sa première transformation. Angoissée, elle n’avait pas beaucoup mangé et avait quitté ses camarades de chambre en prétextant un mal de ventre qui la ferait rester toute la nuit à l’infirmerie. Elle savait que cette excuse ne tiendrait pas tous les mois mais tant qu’elle pouvait l’utiliser elle en profiterait.

Se dirigeant vers la salle en question, la jeune fille se remémora les évènements de ces dernières semaines. Durant son passage à l’infirmerie, ses parents avaient voulu la chercher pour la ramener de force à la maison mais elle avait refusé. Après plusieurs courriers et plusieurs conversations via poudre de Cheminette, exceptionnellement autorisée compte tenu des évènements, ils avaient fini par accepter de la laisser à l’école convaincus par leur fille et les faits indéniables. Ils ne pouvaient de toute façon pas la scolariser à la maison, l’apprentissage des sorts était trop spécialisé donc cher à organiser (surtout pour une famille nombreuse), et laisser son enfant sorcier sans éducation magique était extrêmement dangereux. Ils savaient que Poudlard était un endroit sûr, malgré les excentricités du directeur.

Ils posèrent quelques conditions. Eileen devrait leur prouver qu’elle prenait l’histoire au sérieux. Elle devrait suivre ses cours aussi bien qu’auparavant et les assurer de sa sécurité. Elle devrait garder le silence sur ce qui s’était passé cette fameuse nuit d’Halloween, prendre sa potion quand il le fallait et sortir le moins possible du Château. Interdiction d’accepter de participer à de nouvelles aventures. Eileen avait prestement accepté.

Elle s’était efforcée de ne rien dire, ce qui avait été plus ou moins compliqué juste après les évènements et avait presque réussi à garder le secret malgré quelques faux pas. Enfin, un en particulier. Depuis l’incident, elle avait fait en sorte d’oublier tout ce qu’il s’était passé. Elle disparaitrait une fois par mois, sans raison particulière parce que rien ne lui était arrivé. Il y avait eu des hauts et des bas mais dans l'ensemble, tant que la date de la future pleine lune était tenue éloignée, elle y parvenait sans trop de difficultés. Depuis le début de la semaine, cependant, ne sachant pas à quoi s’attendre, le mot loup-garou avait eu du mal à sortir de son esprit. Grâce à son entrevue avec un certain Gryffondor, le mot ne revêtait plus seulement qu'un manteau de négativité. Elle était toujours inquiète mais il avait rallumé une petite lumière dans sa tête qui lui avait permis de ne plus être qu'effrayée en songeant à son petit problème.

Eileen regarda sa montre en entrant dans la salle vide qui lui était attribuée. Elle y resterait la nuit entière, humaine d’esprit mais très poilue. Elle se demanda comment allait se passer la transformation, si elle serait douloureuse, si elle serait exaltante, si elle aurait brusquement une grande envie de viande crue… Personne ne lui avait réellement dit ce qu’il se passerait. Personne ne pouvait réellement répondre en fait puisqu’elle était, à sa connaissance, le seul loup-garou de l’école. Depuis quelques jours cette pensée la faisait sourire. Elle n’arrivait pas encore à se considérer comme autre chose qu’une sorcière mais l’idée d’être la seule à être quelque chose était assez valorisant. D’autant que les loups garous étaient loin d’être de petites créatures ridicules. Ils étaient assez classes. Effrayants, mais classes dans leur genre. C'était ça qu'il fallait retenir.

Il n’y avait qu’une toute petite fenêtre en hauteur dans la salle qui n’était illuminée que par quelques bougies. Il y avait un petit matelas au sol et une couverture, pour la nuit. Eileen disposait également d’une petite table et d’une chaise, si l’envie de travailler lui prenait. Elle trouvait l’idée ridicule. Certes elle aurait techniquement toutes ses facultés intellectuelles mais comment pourrait-elle tenir une plume avec des grosses pattes griffues ? Elle bailla un grand coup avant d’ôter ses vêtements. Elle avait vu la taille d’un loup-garou, frissonnant encore au souvenir, et se doutait qu’il faudrait qu’elle retire ses habits si elle ne voulait pas les gâcher. Elle s’enroula dans la couverture qui grattait un peu et attendit.

La lune prit son temps. La nuit tombait vite en cette saison mais ses effets n’arrivèrent pas tout de suite et Eileen se tendait en patientant. Elle avait tenté de s’endormir, espérant que la transformation passe inaperçue pendant son sommeil pour qu’elle se réveille humaine comme si de rien n’était. Evidemment, il lui avait été impossible de fermer les yeux.

Elle ne savait pas quelle heure il était quand elle sentit tout son corps tirer. C’était comme une immense crampe qui la recouvrait de la tête aux pieds et elle se recroquevilla sous l’impact en gémissant. Bientôt, elle se sentit exploser. La transformation fut extrêmement rapide et achevée en quelques secondes seulement. La douleur, cependant, la faisait se ressentir différemment.

Pour l’enfant, elle mit des heures à changer de forme. Elle avait l’impression que ses membres tombaient puis poussaient pour retomber à nouveau. Elle était en feu mais glacée en même temps. Heureusement que la salle avait été insonorisée empêchant ainsi les cris qu’elle poussa tout du long de se répandre dans le Château tout entier. Il lui était impossible de se concentrer sur quoique ce soit. Sa vision était floue, ses oreilles bouchées et elle ne sentait même plus le sol sur lequel elle se roulait.

Aussi brusquement qu’elle était arrivée, la douleur la quitta, la laissant par terre un peu perdue. Elle respira, entendant un son étrange sortir de sa bouche. Elle papillota des yeux un moment, tentant de reprendre ses esprits mais l’écho de son explosion l’agitait encore trop.

Au bout de quelques secondes la vue lui revint, changée. Les couleurs étaient atténuées mais la netteté plus grande, en particulier au niveau des mouvements des flammes des bougies. Eileen les fixa un temps, comme hypnotisée. Elle finit par se redresser en regardant ses mains qui n’en étaient plus et son corps qui n’était pas le sien. C’était si étrange, à la fois terrifiant et grisant. Terrifiant parce qu’elle ne se reconnaissait plus. Elle ne savait plus ce qu’elle était. Grisant parce que tout était plus intense : la froideur du sol, les odeurs de bois et pierre, la chaleur du feu, la danse des flammes, les mouvements de la cire… Elle sentait ses muscles si différents de ceux qu’elle connaissait jouer sous sa peau et devinait la puissance qui s’en dégageait. Curieuse, elle attrapa la chaise de bois mais ne parvint même pas à la soulever, encore trop affaiblie par la douleur qu’elle avait ressentie. Elle grogna en s’affaissant au sol.

Le son la fit sursauter et elle tenta de parler. L’exercice se révéla impossible. Ses pensées avaient beau être claires dans sa tête, les mots ne se formaient pas. Elle grogna encore, frustrée et apeurée de l’étrangeté de la situation. Elle se savait pas quoi penser et ressentait encore des fourmillements un peu partout. Elle sentit une fatigue incroyable l’assaillir, résultat de ses inquiétudes, de cette première transformation si confuse et surtout, de la potion qu’elle avait pris depuis le début de la semaine. Ses mains… pattes tremblaient un peu et elle s’écroula pour de bon sur le matelas, perdant totalement connaissance.

Eileen ne se réveilla qu’au matin, elle-même, comme si cette nuit n’avait été qu’un vilain cauchemar. Pourtant, elle sentait dans ses courbatures que tout ce qui s’était passé n’avait été que trop réel. Elle jeta un œil sur ses ongles brisés et frissonna en se souvenant de la douloureuse transformation et de ce qu’elle avait ressenti.

Elle passa la journée qui suivit complètement perdue. Si elle s’était sentie un peu plus fatiguée depuis quelques jours, elle était aujourd’hui complètement épuisée. Elle s’était endormie en cours à plusieurs reprises et se sentait complètement courbaturée. Pourtant, l’heure de la tombée de la nuit approchant, elle se sentit de plus en plus réveillée. Sans trop y songer, elle revint dans la salle, se déshabilla et patienta, comme la veille.

Elle retint que la potion ne la laissait pas éveillée trop longtemps. Ce n’était pas plus mal, cela la laissait oublier la douleur par le sommeil même si le souvenir en était toujours aussi vif le lendemain. Elle se dit, tout de même, que c’était un peu dommage. Elle ne pouvait même pas étudier ce qu’elle était capable de faire, quoiqu’étudier ne soit pas un mot qu’elle apprécie particulièrement, elle pensait plutôt à profiter de ses nouvelles capacités. La veille, elle avait beau avoir noté des différences, elle s’était évanouie avant même d’avoir réellement pu les tester et le peu qu’elle avait tenté de faire avait misérablement échoué. Ses membres commencèrent à tirer et l’idée de vivre un peu sous sa nouvelle forme fut complètement oubliée.

Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, la transformation avait été encore plus douloureuse. Elle avait espéré s’être habituée dès la première fois et s’était attendue à une nuit plus agréable. Une fois encore elle avait hurlé au plafond, priant pour que cela s’arrête au plus tôt mais, comme la veille, les secondes étaient devenues des heures. Elle finit par s’écrouler une fois le choc passé sans même tenter de se redresser pour profiter des quelques instants de conscience qu’elle avait. Allongée sur le ventre, elle cligna des paupières, s’émerveillant une fois de plus de la nouvelle netteté des textures. Elle laissa ensuite ses yeux se fermer et s’endormit pour ne se réveiller que le lendemain. Elle rêva de courses folles et de dents acérées toute la nuit.

Eileen avait mieux vécu le dernier jour. Elle savait que c’était le dernier et se sentait déjà récupérer de l’énergie. En pensée, du moins. Son corps était plus fatigué qu’il ne l’avait jamais été et elle avait dû rentrer au dortoir se reposer sans finir sa journée d’études. Elle ne pouvait se concentrer sur rien et ne redoutait que trop la nuit.

Elle se promit de ne pas crier, cette fois, et réussi presque. Elle décida de considérer ce qu’elle avait poussé comme un gémissement bien plus sonore que la moyenne mais rien de plus. Si elle ne s’était pas écroulée aussitôt, elle s’en serait félicitée. Comme la nuit précédente, elle ne fit rien pour lutter contre le sommeil.

Le matin vint comme les autres et elle eut un sourire. Enfin, elle pouvait revivre comme avant. Tout allait bien. Ça n’avait pas duré si longtemps en fin de compte et, quand on y pensait, la douleur était intense mais, au moins, elle passait sa nuit à dormir sans s’en soucier.

Rhabillée et ses deux-trois affaires récupérées, elle quitta la salle, sourire encore aux lèvres. Ce ne fut que quand elle se retourna pour fermer la porte derrière elle qu’un frisson désagréable la rattrapa. Elle savait pertinemment qu’elle ne disait qu’un au revoir à cette salle et elle n’avait vraiment pas hâte d’y retourner.