Morgan s’étira paresseusement. Cela semblait presque trop facile.

L’idée  lui était venue il y a trois jours à peine, en regardant à Pré-Au-Lard une bande de Deuxième Année tout excités. Oui, des Deuxième Année. Parce que soit la population sorcière du Royaume-Uni rapetissait vivement, soit ils étaient trop jeunes pour être ici. Misant tout sur le second choix, la commerçante avait fondu sur eux comme un faucon sur sa proie. La principale preuve de leur relative vieillesse avait bien sûr été le fait qu’ils ne fuient pas comme la peste le sympathique humanoïde qui venait les accoster.
Cheveux blonds un peu hirsutes, avec une longue et mystérieuse tresse courant sur toute la surface du dos,  manteau vert, chemise blanche à jabot et émeraudes en guise d’yeux : tous les habitants savaient reconnaître les signes. Au pire, on les prévenait sur ce fléau aussi collant que de la résine, voleur comme une pie et jacasseur comme un merle. Même si les touristes et la famille de passage, les proies préférées de Morgan, avaient du mal à croire à l’existence d’un individu avec aussi peu de fierté pour les suivre comme un chien mais suffisamment d’habilité pour les filouter, dans cette si belle contrée qu’est l’Angleterre, ils se méfiaient en voyant le signalement ambigu se retrouver en une seule entité.

Pourtant, du point de vue des jeunes sorciers, le jeune homme qui s’était présenté devant eux ; à moins que ce n’eut été une femme… Enfin bref, l’ombre qui s’était profilée devant eux avait paru tout à fait avenante. D’ailleurs, un professeur ou quiconque de Poudlard n’aurait pas commencé la discussion avec un sourire si large, plein de bonté et de joie de vivre. Leurs épaules avaient repris une place convenable presque aussitôt et leur sueur avait  à peine eu le temps de former une goutte. Ils s’étaient détendus, quoique un peu surpris. Morgan jubilait intérieurement.

Smeagol, en bon chat bien dressé, avait commencé la représentation en apparaissant. Surpris, les ingénus avaient scruté ce félin aux longs poils blafards, aux oreilles de lynx et à la queue léonine. Gène de fléreurs avait précisé la vendeuse, bien qu’elle eut su qu’ils n’écoutaient déjà plus. En effet, tous observaient les crapauds rose, jaune, vert et bleu fluo qui venaient de sortir de manches de Morgan. Elle en avait mis un dans chaque paume, souriant comme une marchande de bonbons qui aurait offert un échantillon gratuit.  Ils avaient les yeux avides, cela avait été  exactement ce qu’elle voulait.
Le reste n’avait eu que peu d’importance : Morgan, et ses animaux, avaient fait leur numéro. Tout était bien rodé, comme d’habitude. Et bien sûr, deux des quatre jeunes avaient pris des produits. La troisième hésitait. Le quatrième, comme prévu, avait attendu un peu en retrait à la suite de ses camarades. Le petit faible du groupe. Celui qui regardait par intermittences par-dessus son épaule. Le piège s’était refermé cruellement.

Il n’avait pas fallu à la jeune femme plus de trois minutes pour faire chanter le môme sur pourquoi, mais surtout comment ils étaient parvenus à ce miracle. En prime, il avait préféré tout dépenser sur une petite babiole plutôt que supporter l’horrible monstre aux yeux d’émeraudes.

Morgan esquissa un sourire en se rappelant la tête de lapereau de l’an dans des phares de l’apprenti sorcier. Elle remit la bandoulière de son sac en place ; il commençait à se faire lourd, tout de même !

La mise en place du plan avait été hasardeuse, avec quelques tâtonnements, beaucoup de fois Morgan avait failli se faire attraper ; mais elle avait réussi. Réunir le matériel avait le plus difficile ; voler une cape de sorcier à sa taille n’était pas une mince affaire ! La dernière avait été reprise quelques semaines plus tôt par Rusard. Et c’était vraiment trop facile pour y renoncer de s’infiltrer en se faisant passer pour un élève ; les traits juvéniles de la jeune fille l’aidaient beaucoup ! Réunir la suite lui avait semblé plus commode ensuite. Elle avait choisi ses horaires de visite de la bibliothèque, classé son matériel. Tout allait être irréprochable, et personne n’irait venir lui réclamer les manuels gentiment ‘empruntés’.

La voleuse fit craquer ses doigts dans le silence froid de la nuit, mais ne lâcha pas sa baguette. Les livres, qui s’échelonnaient du quatrième au septième niveau d’études, le dernier, parlaient de Défense contre les forces du Mal et de sortilèges en tous genres, sauf un petit précis de Recensement des Créatures Magiques de l’Asie du Nord et de l’Ouest, qui n’était plus étudié depuis plusieurs années. Elle avait aussi pris un roman Moldu, Eragon, qui avait l’air de parler de dragons. Son sort de lévitation avait été parfait ; elle s’était entraînée durant trois heures pour être sûre de le réussir au moment venu. Il ne lui restait plus qu’à quitter la bibliothèque, les livres au-dessus d’elle. On était en pleine nuit, qui aurait bien pu être là ?

Sous le coup de la surprise, autant que du choc, Morgan fit tomber sa baguette. Les livres s’écroulèrent dans un bruit mat, mais qui se répercuta dans toute la pièce.  Elle se dépêcha de les remettre en lévitation, ni vu ni connu.

Bon sang, n’avait-elle pas suffisamment potassé le plan de la bibliothèque, pour se prendre un mur, une étagère, ou on ne sait trop quoi ? Surtout que cela semblait avoir une consistance plutôt molle, elle ne parvenait pas à en découvrir la teneur. Mais dans le noir, la perception des choses pouvait changer de manière radicale. Sans doute était-ce une étagère, elle avait sûrement déviée de sa route. Ouf ! Qui sait où elle aurait fini si ce bienheureux obstacle ne s’était pas présenté ? Elle se tourna pour regarder au cas où, ne serait-ce que pour remettre en place un quelconque déplacement, même infime, d’objet qui aurait pu, au petit matin, trahir sa présence.  

Que faites vous ici ? Je ne vous ai jamais vu ici, vous n'êtes pas d'ici, n'est ce pas ?

Morgan faillit jurer. L’improbable impossibilité techniquement impossible venait de se produire : une élève dans la bibliothèque. Mais par tous les dragons d’Asie, que venait faire ici une élève ? On était au milieu de la nuit, enfin ! De son temps, personne n’aurait…. Oui, bon, quelques curieux qui adoraient emprunter des livres dans la Réserve, des têtes insomniaques,  des cancres farceurs,  une ou deux têtes-en-l’air qui se seraient endormies… Mais sinon personne n’aurait osé se retrouver dans cette fichue bibliothèque en plein milieu d’une fichue nuit ! Bon sang !

Et vous ? Que faites-vous dans la bibliothèque mademoiselle ? En plus en direction de la Réserve… Je pourrais vous accuser de vol Demoiselle.

déclama la voleuse, essayant d’avoir l’air le plus sévère possible. Morgan voulait y aller au bluff. La jeune fille en face d’elle n’avait rien à faire non plus dans cette partie de Poudlard à cette heure avancée, et cela pourrait jouer en sa faveur.

HRP: