Link souffla un grand coup. Ça y était, il l'avait fait. Il avait enfin pris son courage à deux mains et il avait enfin réussi. A faire quoi ? Et bien, réaliser sa promesse. Peut-être sa mère pensait l'avoir acculé jusqu'au bout, lui demandant chaque année d'aller à Poudlard, encore et encore. Mais en vérité, l'adolescent avait longuement réfléchi au moment adéquat, à l'année parfaite pour entrer à l'école des sorciers et il était parvenue à la conclusion suivante : la septième année serait la bonne. En effet, un an tout seul dans un grand château ne serait pas trop dur à supporter n'est-ce pas ? Il avait juste à rester discret et ne pas se mêler aux autres. Enfin... c'était toujours plus dur à dire qu'à faire. Il se souvint de l'été d'angoisse qu'il avait passé jusqu'à maintenant, à tourner en rond dans son lit, s'imaginant rejeté par les élèves comme il l'avait été par Ethan, tantôt frappé, tantôt insulté. Les insultes étaient les pires. Cruelles et sans relâches, elles n'avaient cessé de le poursuivre dans ses rêves durant ces vacances. Insultes imaginaires de camarades imaginaires qui ne faisaient qu'exprimer comment Link se voyait. Monstrueux. Pas Normal. Ridicule. Et quand il ne rêvait pas de ses futurs camarades, c'était lui qu'il voyait. Lui face à son image. Lui face à son propre regard dégoûté. Et peut-être que ces rêves-la faisaient plus mal encore que ces camarades fictifs qui ne pouvaient que le frapper encore et encore. Car la douleur physique disparaît rapidement et l'on apprend à vivre avec la douleur que nous cause les blessures morales. Mais peut-on vivre quand on est l'essence même de ces blessures et que, quand elles commencent à se refermer, on se fustige inconsciemment, les ré-ouvrant encore et encore ?

Et le voilà, ce jour fatidique : son entrée à Poudlard Impossible de faire demi-tour maintenant. Il avait pourtant essayé mais s'était souvent abstenu d'avouer à sa mère et son parrain qu'il ne voulait pas y aller. Comment pourrait-il un jour le vouloir de toute façon ? Il n'avait rien à faire à Poudlard et Poudlard ne pourrait rien faire de lui. Pourquoi forcer alors cet échange stérile. Stérile pour la société en réalité car même si on lui avait déjà demandé, que pourrait-il faire de sa vie ? Quel travail pourrait-il avoir ? Dans quel endroit pourrait-il vraiment aider les gens ? L'adolescent, seul dans le couloir, émit un bruit étrange, sorte de ricanement soufflé. Comment pouvait-il penser à aider des gens alors qu'il faisait tout pour les éviter. Link était fatigué avant l'heure d'être aussi contradictoire. Il se détestait de ne pas avoir oublié ses rêves et de conserver l'espoir que peut-être, un jour, il pourrait aider. Aider les gens, aider à faire n'importe quoi, exister à travers l'aide qu'il pourrait apporter, le bonheur qu'il pourrait produire pour des personnes en ayant besoin. Link secoua la tête et enfouit ses rêves impossibles à l'intérieur de son cœur puis observa la pierre dure mais lisse du château.

Il était dans le Grand Hall et le trouvait déjà merveilleux. Le faux blondinet effleura la pierre, soudainement ému par cette grande bâtisse si pleine d'histoire. Il chancela un instant, frappé par ce poids historique. Des gens avaient appris ici des valeurs que l'on apprend nulle part ailleurs. Des amitiés s'étaient liées. Et c'est d'ailleurs de la plus grande d'entre elle que Poudlard s'était créée. Des liens s'étaient créés. Invisibles aux premiers abords, ils couraient sur la pierre de ce hall si imposant. Des amours s'étaient fondés à Poudlard, pour se démolir ensuite ou alors se parfaire encore et encore. Des tourments avaient abîmé la pierre et rongé les fondations. La peur s'était infiltrée dans la plus petite fissure. La destruction avait entamé avec sérieux certains endroits et pourtant, pourtant le château se tenait fièrement, entre foret et lac, et ne laissait personne tenter de le démolir. Les élèves avaient besoin de lui. De partout, de jeunes enfants apprenaient avec délice ou horreur que la magie faisaient partie d'eux, qu'elle coulait en eux et qu'un endroit était debout depuis des millénaires pour les accueillir, les chérir et les protéger. Link avait été de ceux-là, avant l'accident. Le jeune homme continua à caresser la pierre tiède qui réchauffait sa peau avec douceur et lui donnait un peu de courage. Il parcourut de ses doigts fins quelques aspérités et creux, quelques endroits manquants aussi, s'imaginant un combat à la baguette dérivé d'une bonne blague, un entraînement secret et impromptu dans le hall, une fois la nuit tombée ou alors une jeune fille découvrant une tromperie et se vengeant, à moitié échevelée. Cette dernière image le fit rire silencieusement.

Le jeune homme caressa le chaton qui n'avait pas bougé de son bras depuis son entrée et se laissa aller à un sentiment de plénitude, s'adossant contre la tiède pierre que beaucoup d'élèves, il le pressentait, trouvaient froide et lointaine. Pourtant, Link se sentait chez lui, comme entouré d'une couverture chaude et bienfaisante.
Pendant un moment, ses peurs s'enfuirent comme de la vapeur d'eau et il profita de cette sorte de repos que lui offrait la bâtisse.

Il entendit ensuite des bruits de pas et de conversation et paniqua complètement. Il failli lâcher flocon et se cacha, il-ne-sait-comment, derrière  une armure traînant par là. L'adolescent inspira un grand coup ensuite. IL devait juste attendre que le flot d'élèves passe et il pourrait se rendre tranquillement dans son dortoir. Enfin, faudrait-il déjà qu'il sache ou était son dortoir et quel était le stratagème pour y rentrer. Link sursauta quand il sentit les élèves pousser un peu plus la porte pour rentrer, il se tourna, face au mur pour protéger flocon des mouvement intempestifs dus au flot d'élèves. Puis il attendit. Le temps lui parut se distendre alors que quelques minutent passèrent seulement. Plus personne ne tapa dans les portes, signe que l'entrée était plus dégagée tout de même mais les bruits résonnaient dans le couloir. L'adolescent entendit dans ce brouhaha ambiant des éclats de rire, des confidences murmurées au creux de l'oreille. Puis il sentit le château se gonfler de chaleur, bienheureux de retrouver ses élèves adorés. Le jeune homme recula doucement, de façon  à ne pas cogner son chaton contre les murs. Cependant il trébucha et tomba en arrière, entraînant avec lui une fille qui n'avait strictement rien demandé.  La première chose qu'il fit fut de regarder que son petit flocon n'avait rien et, une fois fait, il regarda avec effroi la jeune femme lui faisant face. Elle ne semblait pas bien grande. En tout cas elle était plus petite que lui. Son regard ne disait rien qui vaille et son visage était blanc comme de la porcelaine. Il avait beau se dire qu'il s'était fait repérer et qu'il allait passer un sale quart d'heure, Link ne pouvait pas s'empêcher de se dire que cette fille était belle. D'une beauté froide comme une rose blanche au milieu d'une neige hivernale. Elle semblait enivrante et dangereuse. Et Link ne savait pas du tout quoi faire. Deux choses étaient sûres : d'une part il venait de se faire remarquer de tous les élèves présents, d'autres parts, il était si tétanisé qu'il ne pouvait bouger, assis au milieu du couloir sale et mouillé, serrant doucement son chaton contre lui.

Que faire ? L'arrivée de Link dans ce grand château ne se comptait même pas en une petite dizaine d'heures qu'il s'était déjà fait remarqué. Était-il possible d'être aussi ridicule et imbécile que lui en ce moment même ?
Il était toujours à terre alors que cette fille le toisait clairement et que des élèves les entouraient, pressés de voir la suite. L'adolescent voulait fuir. Se lever et courir encore et encore jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus. Fuir ce monde, fuir ces gens qui le regardaient comme une bête de curiosité, fuir cette vie sans saveur qui semblait elle-même se moquer de lui et l'entraîner sans cesse dans une spirale de tourments depuis son enfance. Pourquoi tous ces gens ne pouvaient-ils pas partir et continuer leur chemin ? Pourquoi ne pas aller dans la Grande Salle par exemple ? Elle était si près d'eux, à quelques pas à peine et pourtant, pourtant, toutes ces personnes inconnues ne cessaient de se bousculer, rapprochant le cercle qui s'était formé autour d'eux.

Tout d'un coup, face à la peur qu'il ressentait, cette peur trop grande pour lui, cette peur suffocante et envahissante amplifiée par le monde autour, le poufsouffle ressentit le besoin de chanter. Il voulait chanter. Chanter fort, grave, haut et aigu, chanter de tout son saoul, jusqu'en avoir mal aux mâchoires, comme il le faisait étant enfant. Et cette constatation le fit grimacer, son estomac se tordant de douleur. Il s'était promis ! Il s'était promis de ne pas repenser à ça, de ne jamais y repenser. Chanter lui était désormais impossible et ses rêves d'enfants...non ses rêves tout court étaient enfermés dans un coin de son cœur, bien au chaud. Mais il ne devait pas rêver, il ne devait plus. Il n'avait pas le droit. Alors pourquoi tout d'un coup, ses rêves lui échappaient et lui revenaient en tête le martelant d'espoir et de désirs enfouis. Merlin, il n'avait fait que bousculer une fille ! Et ce contact l'avait chamboulé de l'intérieur, lui rappelant des souvenirs qu'il avait voulu sceller. Surtout toute cette douleur qu'il avait enfermé avec des années de travail sur lui et de cauchemars. Il ne voulait pas se rappeler d'Ethan, jamais. Mais cette situation laissait un goût amer au fond de sa gorge et ses cicatrices le picotaient légèrement, rappel vicieux du passé qu'il tenait tant à oublier. Comment ferait-il pour réellement vivre à Poudlard si le moindre contact, la moindre remarque faisaient revenir ces rêves qu'il s'était interdit de faire avec puissance et accompagnés d'un espoir sans fin ?

Link devait se calmer, il pouvait le faire il en était sur. Il devait renfermer ses rêves le plus vite possible. Mais ici, au milieu de cette foule grandissante, il ne trouverais jamais le moyen. Quel genre de personnes étaient ces gens, à traquer le moindre faux pas, à attendre avec impatience la chute d'un autre pour pouvoir se moquer encore et encore ou pouvoir dire « j'étais là » ? Un mot fort et plein de sens martelait le crâne de Link pour décrire ces personnes, ces oiseaux de mauvaise augure. Ils étaient juste des charognards. L'adolescent n'aimait pas penser comme ça mais ce mot était si fort et collait si bien avec le dégoût et la peur que lui inspirait cette foule qu'il ne pouvait s'empêcher de penser autrement. Il se sentait là comme une antilope entre les griffes d'une lionne, et ce public impotente n'était que des rapaces attendant la fin pour se délecter de sa carcasse.

Et voilà que la fille en face de lui parlait. Mais Link, trop pris par ses démons intérieurs n'avait pas tout entendu. Elle était donc la préfète des Serpentards. Bien d'accord et donc ? L'incompréhension se lisait clairement sur le visage du faux-blondinet quand, grâce à la rumeur du public il entendit ce que cette élève voulait de lui. Son visage perdit alors soudainement toutes ses couleurs. Le muet resserra instinctivement l'écharpe de sa maison autour de son cou, afin de cacher correctement ses cicatrices. Ses interrogations et ses petites peurs étaient toutes partie face à la tétanie qui le prenait rien qu'à l'idée de devoir écrire des excuses devant tout Poudlard, affichant publiquement son statut de physiquement diminué.

Sa première idée, celle de la fuite, reprit le dessus. Il se releva avec difficulté, tremblant légèrement et sous les invectives de son chaton (qui se résumaient à de petits miaulements mécontents). Une fois debout il regarda l'adolescente avec un visage totalement désolé, espérant qu'elle comprenne, et il fit la seule chose sensée qui lui vint à l'esprit : prendre ses jambes à son cou. Les élèves qui s'étaient agglutinés s'écartèrent avec une facilité déconcertante, lui faisant une sorte de haie d'honneur de visages de pitiés, de dégoût mais surtout de déception face à l'affrontement qui n'avait pas eu lieu. Link marchait, dos voûté, tête vers le bas, le pas rapide. Et, une fois à quelques mètre de la foule, il se mit à courir loin de cet enfer, ne sachant pas vraiment où il allait ni même si on le suivait. Tout ce qu'il savait c'est qu'il s'enfonçait dans le château, restant au rez-de-chaussée. Le muet s'arrêta dans un couloir vide et plus petit que les autres, sans tableau ni portes et s'assit contre le mur, reprenant son souffle. Cette année allait être un véritable calvaire.